Moi qui pensait que les prix Goncourt étaient forcément des bouquins ennuyeux et prétentieux qui ne servent qu'à faire bien dans les bibliothèques des bourgeois ou des gens qui ne lisent quasiment rien mais achètent tous les Goncourt ( par goût du bon goût, attrait pour la brillance des objets auréolés du prix ..., afficher un Goncourt dans son étagère, ça revient à dévorer le coeur de son ennemi vaincu pour s'en attribuer la puissance et le prestige ), donc partant de ce principe dont je vous laisse apprécier la subtile subtilité, je n'avais jamais lu de Goncourt ( je viens de vérifier dans la liste, des fois que Voyage au bout de la Nuit l'ait obtenu, mais tout va bien, c'était seulement le Renaudot. Et qui tire fierté et orgueil de l'achat du Renaudot chaque année ? ).
Or, tout à coup, soudain, au détour d'un fouinage aux Puces de St-Ouen, un ami achète deux livres de Laurent Gaudé et me propose d'en lire un. Je choisis Le Soleil des Scorta. Bien m'en prît, ce bouquin est excellent ! Avec beaucoup de poésie et une vraie puissance émotionnelle, l'auteur raconte l'histoire d'une famille italienne des Pouilles. On évite le pathos et les clichés des sagas familiales. Et pourtant l'histoire des Scorta commence par celle d'un paria. Le destin est fort. Les Scorta sont faits pour la sueur dit Elia. Pour la sueur, pour le feu, pour le soleil. Mais les Scorta choisissent, ils ne subissent pas. Ils détruisent pour s'approprier, ils brûlent pour construire à nouveau, pour ne pas vivre sans sens. Et ils transmettent.
"Luciano pénétra chez les Biscotti. Cela allait lui coûter la vie. Il le savait. Il savait que lorsqu'il sortirait de cette maison, les gens seraient à nouveau dans les rues, la vie aurait repris, avec ses lois et ses combats, et il devrait le payer. Il savait qu'on le reconnaîtrait. Et qu'on le tuerait. Revenir ici, dans ce village, et entrer dans cette maison, cela valait la mort. Il avait pensé à tout cela. Il avait choisi d'arriver à cette heure écrasante où même les chats sont rendus aveugles par le soleil, car il savait que si les rues n'avaient pas été désertes, il n'aurait pas pu atteindre la grande place. Il savait tout cela et la certitude du malheur ne le fit pas tressaillir. Il pénétra dans la maison."
"Il s'en est fallu de peu que je meure heureux... Quelques secondes à peine. Quelques secondes de trop... J'ai senti l'impact des pierres chaudes sur mon corps. Et c'était bien... C'est ainsi que j'avais pensé les choses. Le sang qui coule. La vie qui s'échappe. Mon sourire, jusqu'au bout, pour les narguer... Il s'en est fallu de peu mais je ne connaîtrais pas cette satisfaction-là. La vie m'a fait un dernier croche-pied. Je les entends rire tout autour de moi. Les hommes de Montepuccio rient. La terre qui boit mon sang rit. L'âne et les chiens rient aussi. Regardez Luciano Mazcalzone qui pensait mourir triomphant et qui gît là, dans la poussière, avec la grimace de la farce sur le visage... Le sort s'est joué de moi. Avec délices. Et le soleil rit de mon erreur... J'ai raté ma vie. J'ai raté ma mort... Je suis Luciano Mazcalzone et je crache sur le sort qui se moque des hommes."